Depuis que de nombreuses professions libérales et entreprises, étranglées par les prix stratosphériques de l’électricité, menacent de mettre la clef sous la porte, la société française (citoyens, politiques et médias) est partie en croisade contre le système électrique européen.
BoulevardVoltaire – Philippe CHARLEZ – 12 janvier 2023
Indexant le prix de l’électricité sur celui du gaz dans un marché ouvert et concurrentiel, il est considéré comme le principal responsable de la situation. Pour régler le problème, il suffirait d’avoir la « volonté politique » d’en sortir, une volonté qui serait « contraire à l’idéologie d’un exécutif pro-européen manipulé par l’Allemagne ». Est-ce vraiment aussi simple ?
Sortir du système électrique européen suffit-il à déconnecter les prix de l’électricité de sa source marginale. Quelles en seraient les conséquences à court moyen et long terme ?
L’Espagne et le Portugal en exemples
Pour justifier d’une sortie d’un système « jugé absurde », l’opposition parlementaire met en avant l’exemple de la péninsule Ibérique (Espagne et Portugal) devenue, grâce à une dérogation de l’Union européenne, un « îlot » électrique indépendant. Les prix de l’électricité y sont effectivement aujourd’hui trois fois inférieurs à ceux des autres pays de l’Union. Pourquoi cette exception et à quelles conditions pourrait-elle s’étendre à d’autres membres de l’Union européenne ?
Par rapport à ses confrères européens, la péninsule Ibérique est une « île électrique ». Sa situation géographique particulière l’a obligée à développer des stratégies davantage nationales avec des mix électriques très équilibrés (37 % ENR, 25 % de gaz et 21 % de nucléaire). Possédant le parc de regazéification le plus développé d’Europe, elle n’importe pratiquement pas de gaz russe.
Mais la déconnexion ne lui permet pas pour autant de décorréler les prix du gaz de ceux de l’électricité. Indépendamment de tout échange sur la grille européenne, il y existe un marché libre de l’électricité avec de multiples acteurs publics et privés. Madrid et Lisbonne ont donc été contraints de subventionner le gaz utilisé par les électriciens. Une opération contraignant la seule Espagne à 15 milliards d’euros de dépenses publiques en 2022.
S’abstraire de la corrélation gaz/électricité requiert donc deux conditions : 1) posséder des capacités nationales suffisantes pour être autonome en toutes circonstances ; 2) éliminer toute concurrence intérieure en revenant à un monopole naturel non concurrentiel capable de pratiquer un prix moyen.
Se déconnecter du système électrique européen : à quelles conditions ?
Sortir unilatéralement du système électrique ne serait pas sans poser un certain nombre de problèmes politiques vis-à-vis de nos partenaires européens avec lesquels nous nous sommes engagés à collaborer.
En dehors de tout aspect politique, la France n’a de toutes les façons pas la capacité de sortir à court terme du système électrique européen. Par suite de l’arrêt de nombre de ses réacteurs nucléaires, l’Hexagone est devenu importateur d’électricité. Avant d’engager toute négociation avec Bruxelles la France doit au préalable récupérer sa pleine capacité, sous peine de se retrouver en position de pénurie électrique.
Éliminer le marché intérieur et revenir à un monopole naturel
Comme pour l’Espagne et le Portugal, sortir (momentanément ou définitivement) du système électrique européen n’affranchira pas pour autant la France de la corrélation gaz/électricité. Pour s’en exonérer et pratiquer un prix moyen, il faudrait revenir à un monopole naturel et dégager du marché intérieur des fournisseurs alternatifs encouragés à déplacer leurs activités vers l’électricité.
Une telle décision nécessiterait pour l’État « endetté jusqu’à l’os » de les dédommager à coups de subventions publiques. Coûteux, ce retour à la case départ s’avère de surcroît très risqué à terme.
Quelle décision est-elle souhaitable à moyen/long terme ?
Si la situation énergétique actuelle pourrait, à juste titre, motiver certains à se retirer d’un système électrique européen devenu fou, le retour au nationalisme électrique d’antan apparaît très risqué au regard du futur électrique vers lequel nos gouvernements se sont engagés.
La décarbonation des usages reposera en grande partie sur le « grand remplacement » des équipements thermiques par des équipements électriques. Engendrant un presque doublement de la consommation électrique, accélérant la mise en œuvre des renouvelables et, donc, implicitement, la demande de gaz, il devrait renforcer le besoin d’échanges (électricité et gaz) entre pays voisins avec une grille européenne intelligente beaucoup plus intégrée.
À court terme, plusieurs solutions ont été envisagées pour faire baisser le prix du MWh à l’échelle européenne. La méthode ibérique consistant à subventionner l’électricité gazière et à compenser les États en prélevant sur les superprofits des producteurs infra-marginaux (ENR, notamment) apparaît comme la méthode la plus simple et la plus efficace.
Elle a malheureusement été rejetée par l’Allemagne qui, en tant que pays fortement gazier, donnerait implicitement un avantage concurrentiel à la France. En dehors d’aspects purement financiers, certains craignent qu’une telle mesure n’encourage le recours au gaz redevenu artificiellement compétitif par rapport aux autres sources de génération électriques.
Important 90 % de son gaz, l’Europe ne peut que constater son impuissance à impacter les prix. Tel n’aurait été le cas si elle avait maintenu, au moins en partie, sa production intérieure comme les Américains grâce à leur gaz de schistes. Le marché y est captif et le prix du gaz dix fois moins élevé qu’en Europe !
Pourtant, malgré son modèle énergétique défaillant, l’Allemagne enfonce le clou et cherche désormais à entraîner le reste de l’Europe dans ses choix renouvelables et antinucléaires. Et, face à ce diktat, la réponse de la France reste hélas très timide.
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