Lamya Essemlali: «L’image des éoliennes est de plus en plus écornée»

ENTRETIEN – La codirectrice de Sea Shepherd estime que le gouvernement n’est pas assez vigilant sur les effets écologiques des projets de construction de ces usines en mer. Par Eric de la Chesnais. Le Figaro 18/01/2022.

Portrait Lamya Essemlali par Aurélien Morissard
Lamya Essemlali, codirectrice de Sea Shepherd – photo Aurélien Morissard pour IP3

Cofondatrice de l’antenne française de l’ONG Sea Shepherd en 2006, Lamya Essemlali en est également la codirectrice au niveau mondial. Historiquement très engagée sur le front de la lutte contre la pêche illégale et de la surpêche, cette ONG se mobilise sur tous les enjeux qu’elle considère comme importants pour l’intégrité et la préservation du monde marin. Elle a publié un rapport sur les projets d’usines éoliennes offshore en France qui sont, selon cette étude, une bombe à retardement écologique.

Pourquoi les projets d’éoliennes offshore représentent-ils une bombe à retardement?

Tels qu’ils ont été autorisés, ces projets constituent des obstacles très dommageables sur le couloir de migration et les lieux de reproduction des oiseaux et mammifères marins. Ils représentent aussi des dangers pour les espèces résidentes car ils se trouvent dans des parcs marins ou des sites classés Natura 2000. Plus grave, le projet de la baie de Saint-Brieuc se trouve à proximité des deux plus grands sites de nidification d’oiseaux en France. On est en train d’exclure ces espèces qui trouvent dans l’océan un vaste désert avec des oasis d’habitat le long des côtes.

Quels sont les effets nocifs pour les mammifères marins?

Les gens ne se rendent pas compte qu’on peut tuer avec du bruit. Trop peu d’études d’impact ont été faites sur le sujet. Les animaux marins sont plus sensibles que les humains d’autant que, dans l’eau, le bruit se répand cinq fois plus vite que dans l’air. On parle d’onde de choc. À 160 décibels, leurs tympans explosent. À 200 décibels, c’est le cas de certains forages, leurs poumons se fissurent. On a la chance en France d’avoir la plus grande population de grands dauphins côtiers. L’habitat des 400 individus qui vivent dans le golfe normand-breton va être encerclé par cinq projets d’usines éoliennes, dont celui de Saint-Brieuc. Comme l’ensemble de la ressource halieutique, ils n’auront pas d’autres choix que de fuir.

« Déjà sur les sites de la mer du Nord, nous constatons une raréfaction des mammifères et des oiseaux marins liée à ce désagrément »

Lamya Essemlali

L’implantation des mâts de 200 mètres de haut va-t-elle avoir des effets immédiats sur la faune marine?

C’est plus sournois et insidieux que cela. L’effet de l’implantation de ces champs offshore n’est pas immédiat. Il ne faut pas s’attendre à voir des milliers d’oiseaux morts à côté de ces usines éoliennes ou des milliers de dauphins échoués sur les plages. Cela va entraîner une baisse de leur fertilité, des difficultés à se nourrir, un affaiblissement progressif qui, à terme, peut aboutir à l’extinction de l’espèce. Déjà, sur les sites de la mer du Nord, nous constatons une raréfaction des mammifères et des oiseaux marins liée à ces désagréments.

Pourquoi parlez-vous de pales Damoclès sur les oiseaux migrateurs?

Nous avons le retour d’expérience avec les éoliennes à terre. Des oiseaux meurent en heurtant des pales d’éoliennes, mais le nombre de ces accidents est très difficile à évaluer parce que les promoteurs se retranchent derrière le secret industriel. Toutefois, on estime ce nombre important, notamment en mer. Il existe des phénomènes naturels rendant la visibilité nettement moins bonne pour l’avifaune migratrice. En outre, les sites offshore sont beaucoup plus imposants. Ils comportent plusieurs dizaines d’éoliennes de 200 mètres de haut, alors qu’à terre ils ne font pas plus de quatre à six mâts de 180 mètres.

Le terme offshore est-il approprié?

Pas vraiment. Les usines vont se trouver non pas au large, comme en Europe de Nord, mais à proximité des côtes, là où se trouve la biodiversité. Sans compter que ces mâts de plus de 200 mètres de haut seront visibles et sonores pour tous ceux qui vivent le long du littoral français.

« Très clairement la politique française en matière d’éoliennes place la biodiversité au second plan »

Lamya Essemlali

Le principe de précaution ne peut-il pas jouer dans ce contexte?

Le bon sens voudrait qu’il s’applique. Pour des raisons économiques et techniques, il est plus facile et moins cher d’implanter des éoliennes près des côtes. Les études d’impact sont effectuées une fois que le choix de ces sites a été décidé par les pouvoirs publics et les promoteurs, et non pas en amont. Même si ces études détectent les plus grands risques de survie de certaines espèces, les projets sont maintenus au même endroit. Ainsi, au large de l’île d’Yeu, la construction d’éoliennes offshore se poursuit alors qu’elle met en péril le puffin des Baléares, l’espèce marine parmi les plus menacée au monde.

Les mesures de compensation écologique sont absolument illusoires. Très clairement, la politique française en matière d’éoliennes place la biodiversité au second plan. On déroule un tapis rouge à l’industrie éolienne à qui l’on donne des passe-droits sur des territoires naturels protégés plus qu’à aucun autre industriel. L’industrie éolienne a reçu un chèque en blanc du gouvernement. C’est totalement irrationnel.

Que vous disent les pouvoirs publics?

Le ministère de la Transition écologique répond qu’il accorde tous les jours des dérogations d’espèces protégées dont une soixantaine pour des espèces en danger d’extinction. Derrière cette fatalité, il commence à se rendre compte que l’image des éoliennes est de plus en plus écornée. Cela est d’ailleurs un thème de la campagne présidentielle.

« On est en train de sacrifier notre meilleur allié contre le réchauffement climatique au prétexte de lutter contre le réchauffement climatique, c’est ubuesque »

Les éoliennes sont pourtant installées pour lutter contre le réchauffement climatique?

Le premier organe de régulation du climat, c’est l’océan et sa vie marine, avant même les forêts. Le phytoplancton n’existe que si le réseau trophique est en bonne santé. Il est composé des poissons, des mammifères et des oiseaux marins. Toute cette vie est en fait la force ouvrière de l’océan qui est une énorme machine de régulation du climat. On est en train de sacrifier notre meilleur allié contre le changement climatique au prétexte de lutter contre le changement climatique, c’est ubuesque. Alors que la France a une responsabilité plus grande qu’ailleurs, elle fait pire qu’ailleurs. Quand on regarde la cartographie des parcs éoliens, ils se situent exactement là où ils ne devraient pas être.

Quelles solutions préconisez-vous pour éviter ce désastre?

Nous proposons de faire un moratoire sur tous les projets d’implantation d’éoliennes avec un débat public clair et transparent. Un sondage Ifop montre que la majorité des Français ne sait pas ce que sont les éoliennes. Pourtant, il indique aussi que plus on en sait sur les éoliennes et moins on les aime.

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