La Montagne – Alexandre Charrier – Publié le 14/03/2022 à 17h30

éoliennes dominent le paysage et l'un des clochers du village
A Greneville, les éoliennes dominent le paysage et l’un des clochers du village de 700 habitants situé dans le nord du Loiret. © Gaujard Christelle

À Greneville-en-Beauce, près de Pithiviers (Loiret), les éoliennes sont partout dans le paysage, depuis une dizaine d’années. Au grand dam de nombreux habitants qui dénoncent pollutions visuelle et sonore. Une grogne qui gagne les campagnes et que les principaux candidats à la présidentielle ont entendue. 

C’est une carte postale du XXIe siècle. Greneville-en-Beauce, commune de 700 habitants située dans le nord du Loiret, à la lisière de l’Eure-et-Loir : ses champs de céréales à perte de vue, ses clochers inscrits à l’inventaire des monuments historiques – elle en compte deux depuis qu’elle a « absorbé » sa voisine Guignonville – et ses éoliennes qui constellent le ciel.

Huit mâts hauts de plus d’une centaine de mètres sont installés dans le village. Mais ce sont en réalité une soixantaine de machines qui ceinturent la commune. Au nord, au sud, à l’ouest, à l’est : quel que soit l’endroit où on pose le regard, il y a des éoliennes dans le paysage à Greneville-en-Beauce.

Jean-Marie est depuis toujours aux premières loges. Cet agriculteur de 60 ans descend de son tracteur en faisant une moue résignée quand on lui demande ce qu’il pense de toutes ces pales, qui tournent au ralenti en ce jour gris de mars, au pied de ses champs. « On ne peut pas dire que ce soit très beau visuellement, estime-t-il. Mais on ne nous a pas demandé notre avis pour les installer. Dire qu’on nous fait des misères pour changer des volets ou une porte à cause des églises classées… »

« Ça a mis la pagaille dans le village  ! »

Régulièrement sollicité par des promoteurs éoliens, comme tous les agriculteurs du village, Jean-Marie a toujours refusé de céder la moindre parcelle de terrain. « Chacun prend ses responsabilités mais cela a créé beaucoup de tensions dans le village toutes ces implantations », résume-t-il.

Mâts d'éoliennes à Greneville-en-Beauce
Huit mâts d’une centaine de mètres de haut sont installés à Greneville-en-Beauce. © Gaujard Christelle

« Des agriculteurs ont accepté à une époque, et je ne juge pas car ça a permis à certains de ne plus avoir besoin de cultiver pour avoir des revenus, mais ça a mis la pagaille dans le village, confirme Jean-Louis Brisson, qui a été réélu pour un deuxième mandat à la tête de la commune. Aujourd’hui, notre position est claire : on n’en veut plus ! »

Si l’image de l’éolien reste très largement positive dans l’esprit des Français (lire ci-dessous), difficile de trouver à Greneville un habitant fier que son village participe à produire une énergie « décarbonée », qui permet d’alimenter en électricité plusieurs milliers de foyers, grâce à ces machines d’une puissance de 3 MW. « Moi, ça ne m’empêche pas de dormir la fenêtre ouverte ».

Moches ? Bruyantes les éoliennes ? Seule Oriane, 21 ans, esquisse un sourire sur le sujet. « Moi, ça ne me pose pas de problème, j’ai grandi avec. Le bruit ? Franchement ça ne m’empêche pas de dormir la fenêtre ouverte. Et puis si on veut lutter contre le réchauffement climatique, c’est important qu’il y ait ces éoliennes. »

Question de générations peut-être, mais chez ses voisins les nuisances – dont chacun s’accommode plus ou moins – sont sur toutes les lèvres dès qu’on prononce le mot éolienne.

« On a beau être à 800 mètres, on entend les bruits de craquements quand les pales tournent », raconte Thierry, exploitant agricole.

Dans cette plaine de Beauce ouverte au vent, ce sont des paysages et des habitants qui ont servi de cobayes pour un bénéfice écologique douteux, estime le sexagénaire. « Aujourd’hui, il n’y a pas un pet’ de vent, elles ne tournent pas, constate-t-il. Et dehors, il fait 7 ou 8°C : c’est maintenant qu’on a besoin d’électricité pour se chauffer ! »

Anti éolien dénonçant des éoliennes
Les anti-éoliens dénoncent notamment la perte de valeur de leurs biens immobiliers. ©Gaujard Christelle

« Quand je vois les millions dépensés pour ces éoliennes, je m’interroge, ajoute-t-il. Et je ne parle pas du bilan carbone : j’ai vu les trois camions de ferraille et les mètres cubes de béton qui ont été coulés pour installer les mâts. Et quand elles vont avoir 25 ans, on nous dit qu’il va falloir changer les pales. Elles sont en résine et on ne sait même pas les recycler ! »

100.000 euros pour l’interco’

Dans le village et ses alentours, les premières éoliennes, têtes de gondole de la conversion aux énergies renouvelables, ont fait leur apparition il y a une douzaine d’années. À l’époque, leur installation avait déjà soulevé des protestations. Mais ce symbole de modernité était auréolé d’une promesse de regain d’activité en secteur rural. Et de rentrées fiscales pour les collectivités locales.

« La commune ne touche pas un centime. Tout va à l’interco’ : ça représente quand même 100.000 euros par an », précise le maire, Jean-Louis Brisson, assis dans la petite salle du conseil qui jouxte l’agence postale.

« Des emplois, il y en a un peu dans la maintenance. On voit souvent les camionnettes, constatent Bernard et Marie, jeunes retraités dont la maison, située à la sortie du village, offre une vue imprenable sur les mâts installés à Greneville. Mais ce n’est pas comme une centrale nucléaire qui fait vivre des centaines de personnes autour. Même pour la construction, ce sont des équipes qui sont venues d’Espagne, pas des locaux. »

La justice retoque un projet

Il y a plus de dix ans, Greneville a « essuyé les plâtres ». Depuis, le vent a tourné. Et la résistance s’est organisée dans le Pithiverais. Si de nombreux projets éoliens sont encore dans les tuyaux, plusieurs associations d’habitants se sont constituées pour y faire barrage.

À Barville-en-Gatinais, à 20 minutes de route de Greneville, la construction d’un parc éolien vient d’être retoquée par la cour administrative d’appel de Nantes. Les huit mâts de 188 mètres – une taille inédite dans le secteur – porteraient « une atteinte excessive aux paysages », selon la justice. Hélène Hache, bénévole de l’association pour la défense de l’environnement et des paysages de Saint-Loup-des-Vignes et ses alentours, s’en réjouit.

Il y a une prise de conscience que la parole des riverains doit être prise en compte

« Nous ne sommes pas anti-éoliens par principe, quand les projets sont intelligemment menés et ne sont pas démesurés. Moi je peux même trouver ça beau, mais pas quand il y en a trente dans mon champ de vision. Là, ça devient flippant ! »

Le conseil municipal s'est clairement positionné contre toute nouvelle implantation. ©Gaujard Christelle
Le conseil municipal s’est clairement positionné contre toute nouvelle implantation. ©Gaujard Christelle

Paysage abîmé, bruit, perte de valeur immobilière pour les maisons, danger pour la faune, destruction de terres agricoles : les associations font feu de tout bois et n’hésitent plus à saisir la justice pour contester les autorisations préfectorales. Souvent soutenus par leurs élus. Des communes comme Beaune-la-Rolande ou Saint-Loup-des-Vignes se sont d’ailleurs choisi pour maire, en 2020, des personnalités impliquées dans le combat contre l’implantation de nouvelles éoliennes.

Des candidats dans le sens du vent

Les politiques ont bien compris la grogne qui montait des campagnes à ce sujet. Et se montrent pour la plupart très frileux sur le développement de l’éolien. De Lassalle à Zemmour, de Le Pen et Dupont-Aignan, c’est toute la droite et l’extrême droite qui affiche son refus des éoliennes dans cette présidentielle. Valérie Pécresse (LR) propose, elle, de laisser les habitants décider localement s’ils veulent ou non de nouvelles implantations. Et quand Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron abordent le sujet, c’est en insistant sur le développement de l’éolien offshore. Le plus loin possible des populations.

Sans surprise, seul Yannick Jadot (EELV) maintient le cap en tablant sur la création de 4.000 éoliennes d’ici 2027. Il a reçu la semaine passée le soutien (indirect) de François Hollande. Dans une tribune publiée dans Le Monde, l’ancien président a voulu rappeler qu’il y aurait un prix à payer pour se passer du gaz russe

Plutôt que de pleurer sur les dommages visuels causés par les éoliennes, ouvrons les yeux sur les décombres des villes ukrainiennes et sur les responsabilités de ceux qui ont décidé de les bombarder.

« C’est bien mignon de demander aux citoyens de faire des efforts. Mais c’est aux grands groupes, comme Total, et à l’État de faire les bons choix, estime Hélène Hache. On voit quand même aujourd’hui que l’éolien n’est pas l’option la plus cohérente. » Dans le sillage du très médiatique ingénieur Jean-Marc Jancovici, pour qui la base du mix énergétique français doit rester le nucléaire si l’on veut produire une énergie « propre » et sortir de la dépendance aux énergies fossiles, les anti-éoliens ont aussi des arguments écologiques à faire valoir désormais.

Dans son jardin avec vue sur ces drôles de moulins, Bernard résume le paradoxe français : « Tout le monde veut de l’éolien mais personne ne veut que ce soit sur son terrain. » Dans un sondage publié en 2021 par Harris-Interactive, 68 % des Français se disaient pourtant favorables à l’installation d’éoliennes près de chez eux. Seuls 28 % pensaient de même pour une centrale nucléaire. 

Vous pouvez retrouver cet article via le lien suivant : https://www.lamontagne.fr/greneville-en-beauce-45480/actualites/dans-le-loiret-un-vent-mauvais-souffle-sur-les-eoliennes_14098895/

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