Un procès historique contre EDF-Renouvelables
Un procès historique pour destruction d’espèces protégées contre EDF-Renouvelables, son PDG et 9 autres acteurs. Tous pourraient écoper de lourdes amendes car plus de 150 oiseaux tués par leurs éoliennes avaient été retrouvés morts en 4 ans.
EDF-Renouvelables sur le banc des accusés
Ce n’est pas tous les jours qu’EDF-Renouvelables (EDF-R) est traîné sur le banc des accusés par une association environnementale. Le 16 décembre, l’énergéticien français, son PDG, deux filiales et sept sociétés de projets éoliens comparaissaient devant le tribunal judiciaire de Montpellier. Motif : la « destruction d’espèces protégés » par les pales et mâts de 31 éoliennes construites de 2006 à 2014 et toujours en activité sur le causse d’Aumelas, à l’ouest de Montpellier.
Aigles, busards, faucons, pipits, pipistrelles… Au total, 153 spécimens ont été retrouvés morts entre 2017 et fin 2021 sous les machines de cette zone — très venteuse et donc très intéressantes pour l’énergéticien. « L’une des plus grandes garrigues du sud de la France », remarque la juge du tribunal judiciaire, Sandrine Lalande. La magistrate s’est montrée attentives aux problématiques des oiseaux affectés, et notamment au faucon crécerellette, l’espèce la plus touchée à Aumelas. Ce petit oiseau migrateur avait quasiment disparu de l’Hérault, avant de revenir naturellement s’installer au début des années 2000 sur ce causse.
Si la population atteint 700 couples reproducteurs, l’espèce est toujours classée comme « vulnérable » à l’échelle internationale. Et sa croissance dans l’Hérault aurait dû être bien plus importante s’il n’y avait pas eu les éoliennes d’Aumelas. Les relevés réalisés au pied des mâts ont recensé 65 spécimens tués entre 2011 et 2023. Un tiers environ de la mortalité réelle, explique Aurélien Besnard, écologue spécialiste des dynamiques des populations, qui témoignait comme expert à l’audience.
Au sein du projet Mape pour « Réduction de la mortalité aviaire dans les parcs éoliens en exploitation » il a, avec ses collègues, évalué à 5 % par an l’effet additionnel des éoliennes d’Aumelas. Sur une décennie, la population actuelle de faucons aurait été ainsi « deux fois supérieure s’il n’y avait pas eu l’impact de ces éoliennes » a-t-il déclaré à l’audience.
S’il y a désormais 700 couples reproducteurs de faucons crécerelletes dans la région, l’espèce est toujours considérée vulnérable à l’échelle internationale.
On ne peut pas compenser une mortalité d’oiseau
Du côté d’EDF, on aime aussi manier les statistiques : « Si je vous entends, il y a 33 fois plus de couples de faucons qu’il y a quinze ans. Sans ces éoliennes, ce serait 66 fois plus », feint d’interroger Antoine Beauquier, avocat du barreau de Paris venu défendre Bruno Bensasson, le PDG d’EDF-Renouvelables, absent à l’audience. Réponse de l’expert : « Oui, mais on ne peut pas compenser une mortalité d’oiseau » Augmentation de la population ou pas, les oiseaux décédés le resteront, et les oiseaux tués par leurs éoliennes d’Aumelas ont fait, selon le scientifique, perdre « environ dix ans de travail » de préservation.
Rien d’illégal cependant, selon la défense : « EDF-R a respecté toutes les prescriptions et mesures d’évitement et de réduction des risques » assure Arnaud Vermersch, qui représente les dix sociétés — EDF-Renouvelables et ses filiales. Arrêt temporaire des machines (bridgage), détection des oiseaux par caméras : ces mesures n’ont eu quasiment aucun effet, en tout cas à Aumelas. Et pour l’expert Aurélien Besnard, il n’y a « aucune évidence ni démonstration de leur efficacité » dans la littérature scientifique.
Trop d’oiseaux tués par leurs éoliennes
En revanche, il y a bien à Aumelas « une mortalité exceptionnelle » qui continue, selon Alice Terrasse, avocate de FNE Occitanie-Méditerranée (FNE OcMed). Or, la loi est claire : on ne tue pas les animaux non domestiques, sauf si on y est autorisé par l’État dans un cadre spécifique (art. L411-1 du Code de l’environnement)
Absence de dérogation
Les mortalités constatées auraient dû amener depuis très longtemps EDF à demander une dérogation pour la destruction d’espèces protégées, et ce même si le préfet ne l’a pas explicitement prescrit. Preuve en est le document présenté par le procureur, un rapport en manquement rédigé par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement d’Occitanie cet été, loin d’être le premier sur Aumelas. Son objet est explicite : « l’impact persistant et significatif » des parcs éoliens d’Aumelas « en l’absence de dérogation ».
« Moi si je reçois ça, je fais le nécessaire de suite ! » réagit la juge. Réponse d’EDF-R : « Ce n’est pas une exigence », certifie Arnaud Vermersch, d’autant qu’il y a « un risque de ne pas obtenir cette dérogation, ce qui rendrait l’exploitation illégale ». Et c’est l’enjeu de fond : pouvoir continuer à faire fonctionner aussi longtemps que possible les 31 machines d’Aumelas située dans une zone bien venteuse.
Les éoliennes d’Aumelas sont situées dans une zone très venteuse.
Les dérogations sont pourtant « une demande extrêmement classique » rappelle Alice Terrasse avant d’égrener la liste des condamnations d’EDF-R sur cette même affaire devant d’autres tribunaux. Pour elle, les mortalités d’Aumelas relèvent d’une « intention délibérée de commettre des actes illicites ». Au-delà des indemnités du préjudice moral — 500 euros par oiseau tué — elle demande surtout « à publier dans les médias nationaux un communiqué faisant état de cette condamnation »accompagné d’une photo d’oiseau fauché. « On déploie les renouvelables pour préserver le climat mais aussi l’environnement. Si on fait disparaître des espèces, on ne répond pas aux objectifs, c’est totalement contradictoire », assène-t-elle.
À ses côtés, le juriste Olivier Gourbinot, pour FNE, propose une sanction innovante pour le préjudice écologique. Puisque les dommages causés par les éoliennes entravent les efforts de préservation, il suggère le versement par les sociétés de 168 000 euros au total au plan national d’action pour le faucon crécerellette.
Un procureur qui loue les associations face au « mastodonte »
Le procureur, lui, a été plus facilement échaudé par l’attitude l’avocat d’EDF-Renouvelables qui lui coupait la parole un peu facilement, poussant le magistrat à tonner « Je parle ! » pour se faire entendre. Son réquisitoire débute de manière assez inédite par des remerciements à l’égard de FNE et FNE OcMed qui « mènent un combat dur et difficile pour une association » face à « un mastodonte ».
Pour le procureur, l’atteinte à l’espèce a eu lieu dès le premier spécimen tué et la dérogation aurait dû être demandée « dès qu’il y a eu une mortalité ». Le magistrat s’est montré sans concession : « Comment forcer EDF-R à déposer cette demande de dérogation ? Avec une grosse amende et un gros sursis » pour « éviter toute réitération des faits ». Et de requérir « 750 000 euros pour chacune des sociétés ».
Plus encore, il réclame qu’un tiers de la somme soit réglée sans attendre un éventuel appel du jugement. Enfin, il requiert « la suspension d’activité pendant un an et l’interdiction de recourir aux marchés publics » pour les sociétés visées. Quant au PDG, absent à l’audience, le procureur requiert 6 mois de prison avec sursis et 150 000 euros d’amende.
Est-ce que vous trouvez qu’EDF-R se comporte comme un délinquant ?
Stupéfaction sur les bancs de la défense, qui ne s’attendaient pas à une telle menace. « Est-ce que vous trouvez qu’EDF-R se situe au-dessus des lois et se comporte comme un délinquant ? » s’enquiert l’avocat des entreprises, qui espère la relaxe.
Pour lui, la question de la destruction des espèces protégées se réduit à un enjeu de « police administrative ». En la matière, il assure qu’EDF-R et ses filiales sont exemplaires : « On applique les mesures, on fait le suivi des mortalités avec la LPOqui est pas forcément une association aux mains du grand capital, on a toujours répondu aux demandes de l’administration et on respecte les arrêtés préfectoraux. »
Reste ici une incertitude juridique : l’entreprise devait elle-même demander cette dérogation à l’État ou était-ce au préfet de le faire ? Le Conseil d’État doit prochainement trancher ce volet de l’affaire. Mais jusqu’ici, dix années de procédures multiples pour faire cesser les mortalités à Aumelas ne sont pas parvenues à remettre en cause l’attitude de l’énergéticien. Cette fois-ci sera-t-elle la bonne ? Réponse au délibéré, le 17 mars 2025.
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