Par Eric De La Chenais. Le Figaro du 26 mars 2021
ENQUÊTE – Le pays compte 8000 mâts. Un nombre qui devrait croître de 62 % d’ici à 2028, proportionnellement à la colère de nombreux Français
Le pays devrait voir sortir de ses terres ou émerger de ses eaux marines, d’ici à la fin de la prochaine décennie, des milliers d’éoliennes supplémentaires pour répondre aux objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Décidée par le gouvernement dans un décret du 21 avril dernier, elle prévoit en effet que la part de l’énergie éolienne devienne, d’ici à 2028, la deuxième source de production électrique française devant l’hydraulique, mais loin derrière le nucléaire.
À Saint-Brieuc, les pêcheurs furieux menacent de bloquer le chantier d’un projet éolien : https://www.lefigaro.fr/actualite-france/a-saint-brieuc-les-pecheurs-furieux-menacent-de-bloquer-le-chantier-d-un-projet-eolien-20210326
Au regard de l’année passée, elle en prend le bon chemin: elle est passée devant les énergies fossiles (principalement le gaz) en 2020. Pourtant, beaucoup reste à faire. «Pour atteindre cet objectif, la part de l’éolien, qui représente actuellement 8 % de la production électrique française, devra passer entre 15 et 20 % d’ici à la fin de la décennie, commente Alexandre Roesch, délégué général du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Cela ne veut pas dire que le nombre d’éoliennes va doubler, comme certains le laissent croire. Les derniers modèles d’éoliennes sont deux fois plus puissants que les anciens et vont encore améliorer leur productivité. Par ailleurs, les premiers parcs éoliens en mer, avec des rendements encore supérieurs, devraient tourner à partir de 2022.» On compte aujourd’hui 8000 éoliennes, réparties dans 1 800 parcs sur tout le territoire. Et il devrait y en avoir au total, d’ici à 2028, entre 12.000 et 13.000, en fonction de l’avancement des programmes, soit une augmentation de 50 à 62 %.
Premier écueil : le choix des sites
Face au réchauffement climatique, l’État veut augmenter la part des énergies dites «propres», dont l’éolien et le solaire, car elles rejettent moins de gaz carbonique dans l’atmosphère. Si beaucoup partagent ce but, la mise en œuvre de cette politique énergétique se heurte sur le terrain à de très fortes oppositions. Le premier écueil, c’est le choix des sites. Ils deviennent de plus en plus difficiles à trouver, compte tenu des contraintes imposées aux opérateurs. Ainsi les mâts ne doivent pas être trop près des habitations (500 mètres minimum), ils ne peuvent pas non plus être situés dans un couloir aérien civil ou militaire, et ils ne peuvent pas être disposés à moins de 30 kilomètres des radars de l’armée ni trop près des radars météo. «Actuellement, compte tenu de toutes ces interdictions, on ne peut pas mettre d’éoliennes sur 47 % du territoire français, reconnaît Michel Gioria, délégué général de France Énergie Éolienne, organisation professionnelle représentant les 17 exploitants d’éoliennes en France. Nous avons demandé aux pouvoirs publics un desserrement de ces critères. Nous voudrions pouvoir mettre des parcs dans un rayon minimal de 20 kilomètres, et non plus 30, autour des radars militaires. Ce qui nous donnerait 15 % d’espace en plus pour implanter des éoliennes et mettrait en cohérence la volonté d’un développement plus harmonieux avec l’atteinte des objectifs de la PPE.»
Écologistes, agriculteurs, élus… Une opposition aux éoliennes bigarrée, dense et active : https://www.lefigaro.fr/actualite-france/ecologistes-agriculteurs-elus-une-opposition-aux-eoliennes-bigarree-dense-et-active-20210326
Dans ce contexte, on comprend que la concurrence entre les opérateurs pour trouver le site idéal est vive. «Le maire de ma commune, Béon, dans l’Yonne, entre Sens et Auxerre, a déjà été démarché par 6 ou 7 opérateurs différents. C’est à la limite du harcèlement. On fait miroiter aux édiles des recettes fiscales supplémentaires et la rénovation de bâtiments, s’insurge Nicolas Viney, président de l’association Village en campagne, un collectif opposé à l’implantation de trois éoliennes dans la communauté de commune de Joigny, riche en monuments historiques. C’est en totale incohérence avec l’extension récente du label d’art et d’histoire.»
À cette injure patrimoniale s’en ajoute une pire, selon les opposants à un autre projet. Des exploitants n’hésitent pas à faire fi du passé et de la mémoire collective de la guerre. «Les bras m’en tombent, déplore Jean-Louis Butré, président de la Fédération de l’environnement durable (FED), qui regroupe plus d’un millier d’associations opposées aux éoliennes. Aucun lieu, pas même un charnier de la Seconde Guerre mondiale, n’arrête les ambitions des promoteurs et des affairistes. À Ban-Saint-Jean, dans la commune de Denting, en Moselle, un parc éolien est en cours d’instruction sur un charnier où ont été retrouvés plus de 23.000 corps, des Russes, des Ukrainiens morts sur place, en travail forcé. Ce lieu est le plus grand mouroir nazi de France de la Seconde Guerre mondiale». Pas sûr que le préfet donne son feu vert à ce chantier qui a causé, en outre, de nombreuses plaintes d’anciens combattants.
Course en avant
En revanche, dans l’Aisne, «des éoliennes sont déjà implantées sur des champs de bataille de la Première Guerre mondiale, à proximité des nécropoles nationales de La Désolation et du Sourd, là où ont péri des milliers de soldats français et allemands», dénonce Valérie Bernardeau, qui habite à Puisieu et Clanlieu, à équidistance des deux cimetières. «Rien ne les arrête, ils veulent encore ajouter d’autres mâts sur des parcs existants, poursuit Valérie Bernardeau, également présidente de SOS Danger éolien. Cela va en outre amplifier la pollution lumineuse. À Autremencourt, la nuit cela fait peur, ce sont des centaines de lumières rouges qui scintillent, on se croirait sur une piste d’aéroport.»
En Charente, la colère monte contre un projet de parc éolien : https://www.lefigaro.fr/sciences/en-charente-la-colere-monte-contre-un-projet-de-parc-eolien-20210217
Au-delà de cette nuisance visuelle, le bien-être des gens et des animaux est aussi parfois mis à rude épreuve dans ce secteur des Hauts-de-France, première région du pays pour la production d’énergie éolienne. «Acouphènes, migraines, nausées, vertiges, tachycardie, problèmes de sommeil… Le nombre de personnes qui sont atteintes des mêmes troubles dont je souffre, depuis l’installation des éoliennes, a explosé», témoigne Patricia*, habitante de Dizy-le-Gros, dans le nord de l’Aisne. Elle qui affirme avoir «pourtant une alimentation saine» et être «sportive», avoue n’avoir «jamais pu penser en arriver à ce point-là». «Je ne compte pas moins de 300 mâts autour de chez moi, s’effraie Patricia. Nous voulons que les politiques lancent une étude épidémiologique à grande échelle pour démontrer qu’il existe un lien de cause à effet entre les maladies et les éoliennes» Pour les exploitants, à ce stade, il n’en existe pas.
Le manque de transparence des dossiers d’implantation fait également partie des griefs des opposants. «Il existe une omerta sur certains opérateurs dont on retrouve le siège du holding dans les paradis fiscaux, à Malte ou à Jersey, et le nom des actionnaires dans les Panamas Papers», s’étonne le docteur Laurent Privé. Ce médecin est à la tête de l’association Val du Rudon, dans l’Allier, où 300 éoliennes doivent être implantées, faisant parfois 240 mètres de haut. «Certains exploitants, quand ils perdent en justice, revendent leurs dossiers à d’autres – entre 100.000 et 500.000 euros – lesquels arrivent à leurs fins malgré l’opposition de la représentation sociale du coin».
Vent de colère contre l’essor des éoliennes : https://www.lefigaro.fr/actualite-france/vent-de-colere-contre-l-essor-des-eoliennes-20201221
Ainsi, en Normandie, à Barou et Norey-en-Auge, un projet initialement porté par Veolia Environnement, qui avait été retoqué deux fois par la justice en 2013 – d’une part pour «des vices de forme», d’autre part «du fait du brouillage du radar météo de Falaise» – renaît de ses cendres. «Il est aujourd’hui porté par VSB Énergies Nouvelles, explique Henri de Dalmassy, consultant maritime et président de l’association SOS Pays de Falaise. Pourtant, nous avions relevé que 17 élus municipaux avaient effectué des prises illégales d’intérêt. Le préfet de l’époque avait même annulé la totalité de la zone de développement éolien du département.» Malgré cela, les promoteurs continuent de prospecter à cet endroit, notamment dans les communes de la poche de Falaise, de Courcy, Tôtes et Vendeuvre. «Et ce en dépit des réunions de concertation qui rassemblent 80 % d’opposants. Le promoteur prétend le contraire dans le dossier envoyé à la Dreal. La France est-elle encore un État de droit?», s’interroge Henri de Dalmassy.
*Le prénom a été modifié.
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