TRIBUNE – Figaro du 6 Mars 2021 , Me Francis MONAMY et Jean-Louis Butré
Depuis près de dix ans, les gouvernements ont sapé le cadre législatif permettant de contrôler leur implantation et le droit d’agir en justice des opposants a été rogné, s’alarment Francis Monamy, avocat, et Jean-Louis Butré, président de la Fédération environnement durable.
Le droit applicable aux éoliennes est une illustration caricaturale du pouvoir qu’ont acquis les groupes de pression dans notre pays. Près de 9000 éoliennes ont déjà été installées en France. La programmation pluriannuelle de l’énergie décidée par le gouvernement le 21 avril 2020 prévoit de doubler leur nombre à l’horizon 2028. Or les règles gouvernant leur implantation n’ont cessé de s’assouplir depuis dix ans, quand, dans le même temps, les contraintes n’ont cessé de s’alourdir pour ceux qui les contestent.
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Les parlementaires avaient pourtant progressivement construit un cadre juridique propre à assurer un contrôle des services de l’État et des élus locaux sur le développement des éoliennes. Ce contrôle est justifié par l’ampleur des impacts des parcs éoliens sur le cadre de vie des riverains, les paysages, le patrimoine historique et la biodiversité. C’est ainsi qu’avaient été instituées par une loi de 2000 des zones de développement de l’éolien (ZDE). Créées à l’initiative des communes ou des intercommunalités, ces zones, qui prenaient en compte la faune et le paysage, étaient les seules dans lesquelles les promoteurs pouvaient s’installer pour bénéficier du tarif préférentiel d’achat de leur électricité. Puis, une loi de 2010 avait obligé les opérateurs à obtenir, en sus d’un permis de construire, une autorisation d’exploiter au titre des installations classées de façon, entre autres, à ce que les conséquences sur l’environnement soient examinées avec tout le soin nécessaire. Alors que les éoliennes ne dépassaient pas à cette époque 130 mètres de hauteur, cette loi avait imposé un retrait (déjà insuffisant) de 500 mètres par rapport aux habitations afin de tenter de protéger les riverains des nuisances visuelles et auditives. Et la même loi avait interdit les parcs de moins de cinq machines pour prévenir un mitage du territoire.
Hélas, une déréglementation, voulue par les gouvernements successifs, est ensuite intervenue. N’ayant pu empêcher la mise en place du cadre juridique qu’on a décrit, la filière éolienne s’est mobilisée pour le faire disparaître. La première étape a consisté à obtenir la suppression des ZDE et du seuil minimal de cinq éoliennes en 2013 et ainsi à supprimer toute planification opérationnelle. Le pouvoir des élus locaux, qui ne répondaient pas avec toute la souplesse nécessaire aux exigences des promoteurs éoliens, a du même coup été considérablement diminué.
Les professionnels ont pourtant persisté à réclamer «quelques adaptations réglementaires» supplémentaires. Leurs efforts ont été récompensés. Le gouvernement, par un simple arrêté ministériel de 2017, a permis aux parcs de moins de sept mâts de profiter de l’avantageux tarif préférentiel d’achat de l’électricité et de ne pas passer par les appels d’offres qui suscitent des prix inférieurs à ce tarif. Pour profiter au mieux de cette possibilité, il semble que certains n’aient pas hésité à découper leurs parcs en sous-ensembles inférieurs à sept éoliennes, mitant un peu plus le territoire.
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La loi prévoit qu’à l’issue de l’exploitation, l’installation est démantelée et le site remis en état. Or le gouvernement a permis, par de simples arrêtés ministériels pris en 2011 et 2014, que les fondations dans leur presque intégralité (soit des dizaines de millions de tonnes de béton armé restant à jamais enterrées) et les câbles électriques eux aussi dans leur presque intégralité (soit des dizaines de milliers de kilomètres de fils électriques destinés à demeurer sur place) ne soient pas retirés à l’issue de l’exploitation.
Sans doute une réforme du 22 juin 2020 a-t-elle prévu que les fondations seraient désormais entièrement excavées, mais cette réforme permet hypocritement de maintenir l’essentiel du socle de l’éolienne dans le cas où le bilan environnemental est défavorable. Gageons que les promoteurs sauront démontrer, études à l’appui, que le bilan environnemental s’oppose à ce que la nature reprenne ses droits.
Brochant sur le tout, le gouvernement a, en 2017, dispensé les parcs éoliens de permis de construire, faisant de ces parcs les seules constructions de cette importance qui, en France, en sont dispensées.
Le mouvement n’a pas faibli depuis, puisque le groupe socialiste à l’Assemblée a présenté le 5 janvier 2021 une proposition de loi visant à annihiler définitivement le pouvoir des communes et des intercommunalités en les contraignant à décliner dans leurs plans d’urbanisme les choix décidés en la matière à l’échelle régionale, dans le but d’atteindre les objectifs de doublement de la capacité des parcs éoliens en 2028.
La volonté de développer massivement l’éolien caractérise ainsi tous les gouvernements depuis dix ans, en ce compris l’actuel. Nos concitoyens, dont les maires ont été mis hors-jeu, ne disposent plus que des tribunaux pour faire entendre leur voix. Mais cette forme d’opposition, conforme aux principes démocratiques élémentaires, paraît insupportable aux professionnels de l’éolien.
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Aussi ont-ils obtenu que, par un décret de 2016, la cour administrative d’appel de Nantes soit l’unique juridiction à connaître des recours contre les parcs éoliens maritimes, avant que finalement la loi du 7 décembre 2020 n’attribue ce contentieux au seul Conseil d’État. Quant aux parcs éoliens terrestres, ils sont désormais jugés en premier et dernier ressort parles cours administratives d’appel en vertu d’un décret de 2018. La règle fondamentale du double degré de juridiction est donc ici bafouée. Les opposants à des éoliennes ne peuvent plus faire appel d’un jugement défavorable.
À cela s’ajoutent diverses mesures destinées à accélérer le cours des procès et à cristalliser rapidement le débat contentieux de façon à empêcher les requérants de disposer du temps nécessaire à la présentation de leur argumentation. Là où la faculté de se faire entendre par trois juridictions successives est reconnue à tout justiciable lorsqu’il attaque l’abri de jardin que construit son voisin, les opposants qui contestent à 500 mètres de leur domicile des éoliennes qui atteignent aujourd’hui 240 mètres de hauteur, bien qu’ils déclenchent un procès qui soulève des enjeux considérables, voient leur capacité d’action juridique rognée.
Depuis bientôt dix ans, le droit éolien a été méthodiquement démantelé, au détriment de la préservation de l’environnement. Faut-il s’étonner de renforcer ainsi un sentiment d’injustice chez les Français, qui alimente une opposition toujours plus forte et active aux éoliennes?
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