À Échauffour (Orne), un plan drastique a diminué le bruit ambiant depuis l’été 2022. Mais pour certains habitants situés au pied des mâts, cela n’a presque rien changé.
Le nom de la commune d’Echauffour (Orne) restera durablement lié à l’opposition contre l’éolien en France. Non pas par principe, mais parce qu’il provoque, objectivement, des nuisances qui ont entrainé, pour la première fois en France, un arrêt du parc la nuit, sur décision préfectorale, et un sévère plan de bridage. C’était en 2021, au grand soulagement des habitants.
Mais depuis juillet 2022, et après une énième expertise de bruit, le parc tourne à nouveau jour et nuit, mais avec un plan de bridage. Comprenez, un paramétrage de chaque éolienne en fonction de critères précis, afin de limiter la vitesse de rotation des pales, leur orientation, leur prise au vent, et donc le bruit. Une perte sèche pour l’exploitant, qui a dû faire des concessions.
Du mieux, mais…
Depuis le redémarrage avec de nouvelles règles, la majorité des riverains ont pu à nouveau entendre le bruit de la nature. Mais il reste des problèmes qui ne sont pas résolus.Didier Duvaldestin, maire d’Echauffour depuis 2020.
Parmi ces riverains touchés depuis le lancement du parc (cinq éoliennes) par la société Echauffour Energies, (qui appartient directement à Voltalia, groupe Mulliez) en 2019, on trouve un opposant de la première heure : Fabien Ferreri.
Ébéniste, ce dernier s’est installé au creux d’une magnifique vallée en 2014 à Echauffour. Il a vu grandir les éoliennes aux mâts de 95 m de haut, à un peu plus de 500 m derrière sa maison. « Au départ, c’était un véritable enfer. Un bruit impossible à décrire, mais qui revient plusieurs fois dans la nuit, et pour lequel l’oreille humaine ne peut pas s’habituer. »
On appelle cela un bruit impulsionnel, c’est-à-dire un bruit très court, mais qui monte rapidement.
Il faut comprendre que quand un bruit augmente de 3 décibels, on double l’intensité sonore. La nuit, nous avons normalement 24 dB. Et avec les éoliennes, on dépasse les 35 dB, soit 11 décibels d’écart, c’est énorme.Fabien Ferreri, riverain
Problème pour les riverains de ces parcs éoliens, la réglementation a été considérablement assouplie (les exploitants éoliens ne sont pas de cet avis, NDLR) ces quinze dernières années, afin de permettre l’essor de l’éolien et de l’énergie renouvelable. Avec un arrêté ministériel du 26 août 2011, le seuil de non-conformité des installations éoliennes ajouté au bruit ambiant, passe de 30 dB à 35 dB. Autrement dit, on tolère trois fois plus de bruits.
« On va réussir à accentuer le bridage »
Michel Lerouet a acheté avec sa compagne, en 2011, un ancien couvent du XVIe siècle situé au cœur d’Echauffour. Tous les deux, ils ont projeté de faire de ce couvent une belle chambre d’hôte. « Mais qui voudrait dormir face à cinq éoliennes ? », pose Michel Lerouet. Le couple décide alors de changer son fusil d’épaule et souhaite ouvrir une école de cuisine, dédiée aux professionnels de la gastronomie. Pour eux, c’est une question de survie. « J’ai investi au total 600 000 € dans ce lieu, et une experte du foncier m’a dit qu’elle était incapable de faire évaluer mon bien. Sa valeur sera celle que quelqu’un voudra bien proposer. »
Depuis 2022 et le plan de bridage, le couple explique que plusieurs nuisances persistent. « Ce n’est pas convaincant, c’est pour ça qu’on fait des plaintes dès qu’il y a du bruit. » Comme Fabien Ferreri, des micros sont installés chez eux pendant trois ou quatre mois. « Je pense qu’on va réussir à accentuer le bridage », croit Michel. Qu’est-ce qui le rend si optimiste ? « Ils n’accepteraient pas de refaire des analyses s’ils n’étaient pas conscients qui ne respectent pas toujours les normes. Ma femme épluche les relevés pendant des semaines, comme personne ne veut le faire. Et elle a remarqué que certaines analyses ont été bâclées vers la fin, et que l’on arrive parfois à des valeurs de 64 dB en pleine nuit. C’est le bruit d’une tronçonneuse, rendez-vous compte. » L’entrepreneur dénonce les chiffres qui écartent les valeurs hautes, ainsi que les tolérances qui ont été revues. « Ils font tout pour que ce soit profitable à l’éolien. » Le riverain confirme être en négociation avec la Préfecture pour obtenir des compensations, mais ne renie rien. « C’est le Préfet qui a voulu ça, pour soulager nos douleurs. Et c’est une bonne chose. Mais on peut accepter la médiation sans accepter que le bruit perdure », plaide-t-il. « Tant qu’on ne le vit pas, on ne peut pas se rendre compte du bruit. Oui, certains n’entendent plus grand-chose. Mais nous qui sommes proches, ça reste un calvaire, et on va continuer de se faire entendre. »
« Les exploitants ont obtenu que les mesures soient calculées avec des médianes : une valeur centrale qui écarte ainsi tous les bruits extrêmes », peste Fabien Ferreri, président de Echauffour Environnement, qui attaque ces décisions au Conseil d’État. Il demande désormais un arrêt du parc « la nuit et les week-ends ».
Des « compensations » proposées
Le 24 mai dernier, à 5 h 6 du matin, l’ébéniste est de nouveau réveillé par le bruit du vent du nord dans les pâles. Comme souvent, il écrit à l’exploitant, à la préfecture, à la Dreal pour faire part de son ras-le-bol.
« Je ne fais pas ça par plaisir, mais je n’ai pas envie de partir d’ici, je m’y sens très attaché, et je ne veux pas que ma vie soit gâchée par ces bruits », explique-t-il. Une ténacité qui a fini par porter ses fruits.
« Sur plus de 1000 parcs en France, celui d’Echauffour est celui dont le plan de bridage est le plus sévère, ce qui montre bien que l’exploitant a fait des concessions face aux réels problèmes qu’ont fait remonter les habitants », détaille le maire, qui confie que « la majorité des habitants ne sont pas gênés par le bruit, mais qu’une bonne partie ont subi des nuisances bien réelles, qui persistent pour quelques derniers foyers dans la commune, notamment proches des mâts. »
Mi-juin, des micros ont été installés chez ces habitants pour mesurer les nuisances et, pourquoi pas, durcir davantage le plan de bridage. « On l’accepte, car on veut que ça cesse, mais je peux vous dire que de se savoir enregistrés jour et nuit, et d’avoir des techniciens qui débarquent tout le temps, c’est assez intrusif », témoigne Fabien Ferreri.
Dans la commune, certains habitants ont déjà fait le choix de partir pour fuir les éoliennes. D’autres auraient toutes les peines du monde à faire estimer leurs biens avec ces nouvelles voisines d’environ 150 mètres, un peu encombrantes (lire encadré). En 2019, un riverain expliquait au Réveil Normand avoir vendu sa maison 145 000 €, après l’avoir acheté 170 000. Il a depuis quitté le village. A l’est du parc, Jean-Benoît Lemoine n’est, lui, pas vraiment satisfait par le plan de bridage.
« On ne peut pas dire que le plan nous convient. Quand le vent souffle de sud-est et que les éoliennes tournent à plus de 10 tours minute, on a du bruit, à tel point que quand on traverse la route avec les chevaux, on ne sait pas si c’est une voiture ou les éoliennes. »Jean-Benoît Lemoine, éleveur et entraineur de chevaux
Pour apaiser les fortes tensions qui ont eu lieu en 2020 et 2021 notamment, Voltalia avait proposé des « compensations » aux habitants, sur demande de la Préfecture. La société avait dans un premier temps refusé l’offre, avant d’accepter de soumettre des avantages sous la forme de matériel d’insonorisation, ou de réductions sur les factures d’énergies. De quoi calmer une partie de l’opposition ?
Dans le bourg, certains riverains indiquent qu’ils ne souhaitent pas nous parler, « pour ne pas faire d’histoires ». Pourtant, la société Voltalia nous assure qu’aucune de ces compensations financières et autres réductions sur les factures n’ont été acceptées par des habitants. « Quand nous avons finalement proposé ces mesures, elles ont été balayées d’un revers de main par Mr Ferreri », nous indique un responsable du parc.
« Le respect des émergences réglementaires ne signifie pas absence totale de bruit »
Questionnée par le Reveil Normand, la Préfecture de l’Orne est revenue, via un communiqué, sur l’historique du parc et sur la prochaine étude sonore :
« Depuis la mise en service du parc éolien d’Échauffour, des riverains font état de nuisances sonores liées au fonctionnement des éoliennes. Les différentes campagnes de mesures mises en œuvre par l’exploitant ont démontré la persistance d’émergences sonores malgré la mise en place de plusieurs plans de bridage successifs.
Afin d’apporter une réponse aux gênes ressenties par les riverains, l’arrêté préfectoral du 12 mars 2021 a imposé un arrêt partiel et temporaire de 5 mois, sur les horaires de soirée (19 h-22 h 00) et de nuit (22 h-07 h 00). La réalisation d’une tierce expertise indépendante a également été demandée. Le rapport de cette expertise a démontré que le fonctionnement du parc accusait des dépassements des seuils réglementaires d’émission sonore et a proposé un nouveau plan de bridage. Le préfet a inscrit ce nouveau plan de bridage (applicable depuis le 22 juillet 2022) dans un arrêté préfectoral. Il impose à l’exploitant des restrictions sur le fonctionnement des éoliennes afin de respecter strictement la réglementation. Une commission de suivi de site (CSS), associant l’ensemble des parties prenantes, a également été mise en place.
Il ressort des dernières commissions de suivi de site que les riverains ont dans l’ensemble constaté une amélioration de la situation, mais que des difficultés peuvent continuer à apparaitre dans certains secteurs et sous certaines conditions. Bien que le respect des émergences réglementaires ne signifie pas absence totale de bruit, et compte tenu de la gêne ressentie par certains riverains, une nouvelle campagne de mesure ciblée lors de conditions météo particulières a démarré début juin. Les résultats seront connus après l’été.
Une communication sera réalisée à la suite de la prochaine commission de suivi de site qui aura lieu à la rentrée. »
Le contre-exemple
Les éoliennes d’Echauffour, qui ont fait les gros titres des médias nationaux, auront également plombé le mandat du maire actuel, tout en ne rapportant qu’une petite partie des avantages fiscaux dédiés à l’implantation d’un parc éolien (la commune ne bénéficie que de 15 % des avantages, contre 45 % pour la communauté de communes).
Si c’était à refaire, je pense que le Conseil municipal ne l’accepterait pas aujourd’hui. En réalité, je suis persuadé que l’exploitant ne se lancerait même pas dans ce projet.Didier Duvaldestin, maire de la commune.
Ce dernier avance notamment des trous dans la raquette concernant les premières études acoustiques avant l’installation : « Dans le bourg, il m’est arrivé de sortir de la mairie et de croire qu’une voiture arrivait. En fait, c’étaient les éoliennes. Aussi, nous avons une église qui reflète le bruit. Des habitants ont donc le bruit des éoliennes d’un côté, et la répercussion de l’autre. Tout cela n’avait pas été étudié avant… »
Des manques que Voltalia confirme à demi-mot (lire-encadré). D’une certaine façon, Echauffour aura permis au reste de la France de savoir ce qu’il ne faut surtout pas faire en matière d’éolien. Pas sûr qu’entre deux insomnies, cela donne du baume au cœur aux derniers riverains impactés.
Voltalia : « Nous respectons les conditions »
On le sent bien dans nos échanges avec Voltalia, Echauffour est un dossier brûlant. Il faut dire qu’il est l’une des plus mauvaises publicités pour le groupe, et qu’il réjouit ses concurrents sur le secteur, heureux de ne pas s’être embarqués dans cette galère. Après avoir été rappelé à l’ordre par la Préfecture de l’Orne pour des « dépassements des seuils réglementaires d’émission sonore », Voltalia n’a d’autres choix que de se plier aux normes pour faire tourner son site. « On ne va pas crier victoire, mais la situation s’améliore. Nous respectons les conditions de l’arrêté préfectoral et du plan de bridage », se défend un responsable du site d’Echauffour, qui refuse d’être nommé. Un cahier des charges très strictes qui peut mettre jusqu’à quatre éoliennes sur cinq à l’arrêt si les conditions ne sont pas favorables. Un manque à gagner important pour l’exploitant, qui refusera de nous communiquer ses chiffres. Selon nos informations, on estime la perte à près de 50 % de la rentabilité espérée.
La faute à pas de chance, pour Voltalia. Plus précisément à « des éléments qui n’avaient pas été identifiés par le développeur du site », c’est-à-dire par la société qui a réalisé des études acoustiques avant l’installation des éoliennes, mais que Echauffour Energies se refuse d’incriminer. L’exploitant reste néanmoins en contact avec les riverains les plus touchés par le bruit. Une procédure de médiation est en cours avec plusieurs d’entre eux, par l’intermédiaire de la Préfecture de L’Orne.
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